Burn Out, situation 1 - Paul et Sophie

Maladie, symptômes, prévention, isolement, enfants, famille, travail, temps, appauvrissement, dépression

L’Organisation Mondiale de la Santé et la Haute Autorité de la Santé ont reconnu ce syndrome afin de lui donner des protocoles de soins correctes et une reconnaissance législative. (2017 - 2018)

Situation 1 :

Récit de Paul et Sophie, 30 ans, mariés et deux enfants, 1990/2000

Nous nous sommes rencontrés dans les années 80, sans plus d’attentions. Notre proximité est venue trop tard. Paul et Sophie forment un couple depuis plusieurs années, le couple est jeune, la petite trentaine. Les fins de mois vont bien mais pas tant que ça.

Paul et Sophie s’affairent chaque matin. Chaque chose doit être à sa place dans l’appartement exigu. Tout se range, sans cela un drame familial se joue et en peu de temps, la pression monte. Paul est plutôt du genre à éclater de suite alors que Sophie prend sur elle et attend. L’un tempère l’autre mais les blessures sont dans le manque de place, le manque de temps.

Ils se fatiguent et ils ne se sortent pas de leur vie trépidante. Ils me racontent avoir tenté plein de choses.

Le matin, les enfants sont déposés respectivement dans leur jardin d’enfants ou leur école et les parents foncent vers leurs occupations. Paul travaille le soir, il tourne dans l’appartement un peu tout seul et parfois, il avance les tâches de Sophie car elle peine à tout retrouver, le soir. Depuis la seconde naissance, elle n’est plus exactement la même et elle n’a pas rétabli son rythme, elle pense même qu’elle n’y reviendra pas.

Les jeunes parents sont solidaires et dans un mouvement de relais permanent. Sophie ne résiste pas aux nuits sans sommeil. Paul a beau prendre les enfants en charge, Sophie se sent lourde de fatigue. Ils sont seuls face à leurs responsabilités car les familles refusent leur mariage. Sophie y comprend un rejet et Paul parle de bêtise.

Ceci étant, le couple me raconte son histoire. Ils veulent la faire connaître ! Surtout que personne ne vive la même chose ! L’épuisement, l’angoisse, la peur permanents, ils ne savent toujours pas pourquoi ils ont à le vivre. Eux, ils souhaitent une famille et un travail. Dans leurs mots, il y a leurs regards jeunes et leurs envies d’être heureux, leur dynamisme et la joie !

L’aide extérieure étant rare, Sophie m’explique tellement résister que le matin parfois, ils leur arrivent d’être plus fatigués qu’au moment où ils se sont couchés la veille. Sophie se met en route au ralenti alors qu’elle a le sentiment d’aller très vite. Elle me dit avoir eu tellement mal partout parfois.

Je constate que les jeunes parents ne partent pas en vacances ensemble et ce, plusieurs années durant. « Les petits ne s’adaptent pas aux centres de vacances », m’informe Paul. Alors, les adultes se sacrifient pour permettre aux enfants de vivre leur jeunesse.

Paul reprend : « nous protégeons nos bambins et nous ne nous questionnons pas sur ça. Leur joie se vit par la famille, bien qu’ils ne comprennent pas la dureté de cette vie moderne.

Paul me dit depuis plusieurs années déjà, qu’il ne se pose pas de questions. Pourtant, je me rends bien compte que quelque chose ne va pas réellement. Les parents épuisés oscillent entre être heureux et être tourmentés. Ils s’affalent dans le canapé lorsque je leur rends visite et, Sophie plus que Paul, se laisse aller à des petits mots.

« Pourquoi en sommes-nous là ? » ; « Comment faire pour sortir de là ? » ; « Que vont devenir nos enfants ? ». A observer de loin, il n’y a pas plus de préoccupations que pour d’autres. J’ai eu devant moi un couple anéanti et je n’ai pas su lire cela. Ils n’étaient pas en train de dire que tout allait bien et qu’ils assuraient lorsqu’ils s’arrangeaient de leur vie quotidienne. Non, ils disaient qu’ils avaient capitulé sur leurs demandes. Ils avaient intégré leur isolement et leurs parents, leurs amis, personne n’avaient compris qu’ils « tiraient sur la corde » du paraître.

Maintenant, je m’en veux…

Sophie avait expliqué qu’elle aurait aimé de temps en temps, une fois par mois par exemple, sortir au cinéma ou marcher avec une bonne amie et ne plus penser à rien. J’avais entendu sans écouter, mon idée était que tout le monde dit cela.

L’un et l’autre à tour de rôles au fil du temps, me racontaient un morceau de leur vie au bureau pour Sophie, à l’atelier pour Paul. Ils étaient obligés de faire face à de plus en plus de demandes provenant de leur patron et de leurs collègues et au départ, ils ne savaient pas trop bien pourquoi. Puis ils constatèrent que les plus anciens partaient et n’étaient pas remplacés. Et il y avait les chiffres à atteindre, toujours plus, toujours plus… On leur parlait sans arrêt de cadences, d’argent, de restrictions de moyens, de salaires, d’allongement de temps de travail et d’avenir incertain. Ils n’arrivaient pas à savoir d’où venait cette ambiance et pourquoi après plus de dix années dans leurs entreprises, ils devenaient des mauvais travailleurs par des fautes continuellement reprochées.

L’un et l’autre, sans vraiment s’en rendre compte, ont commencé à en faire plus. Ils voulaient que tout soit impeccable comme avec les enfants, comme dans la maison. Ils devaient ne pas rater l’éducation bonheur de leurs petits. Il ne fallait pas que leurs enfants vivent leur galère. Non, il ne fallait pas !

Paul me disait un jour que son père avait été dans les rues. Je lui répondis qu’il avait été un enfant espiègle. Paul reprit que son père avait été un enfant de la guerre qui avait survécu à la rue et même qu’il en était fier. Paul rajouta quand cela lui venait dans nos échanges, que son père en avait gardé des habitudes particulières comme celle de se mettre en colère alors que tout était calme. Il lui arrivait de dormir dehors sans que personne ne sache où.

Le souvenir de ce jeune papa était tremblant. L’insécurité ancrée dans sa mémoire, marquait son sommeil de petit garçon et d’homme. Mais il n’y a pas eu que cela, le père de Paul brûlait la vie par l’alcool et les fêtes. Et maintenant qu’il était lui aussi papa, il ne voulait pas que ses enfants soient perturbés par de telles histoires. Donc il avait décidé avec Sophie que les relations familiales seraient restreintes voire, absentes. Il n’avait jamais imaginé que cela contribuerait à leur solitude sociale.

Le jeune couple se consolait car il estimait en apprendre beaucoup. Il avait installé une recherche de douceur et de sérénité bien qu’il n’y arrivait plus depuis plusieurs mois. Sophie était exténuée, elle travaillait debout ou assise toute la journée. Il n’y avait pas d’alternatives. Elle était broyée par un étau de douleurs liées aux gestes répétitifs. Il lui restait une pause de quelques vingt minutes par huit ou neuf heures. Sophie ne pouvait rien dire sans qu’on ne lui réponde tout net : « Ne t’inquiète pas, il y a plein de monde dehors ! »

Paul admirait Sophie qui se levait la nuit pour dorloter les enfants. Sa femme était patiente mais il y a environ un an que les attitudes se mirent à changer. Sophie s’énervait ou pleurait tout doucement lorsqu’elle revenait pour dormir. Le matin, ses yeux étaient de plus en plus marqués. S’il n’y avait que cela, ce ne serait pas très grave !

Elle pleure sa femme, elle pleure beaucoup et elle l’agresse. Il se désespère. Elle fume de plus en plus et le matin, il n’y a même plus le petit café et encore moins de repas le midi. Sophie ne dit rien mais elle le fait et son mari l’attrape plusieurs fois sur ces deux sujets, il a tout essayé : lui prendre les cigarettes et mettre à la place un paquet de biscuit. Il a acheté de longs mois ses yaourts ou son pain préféré. Il en a tenté des trucs pour qu’elle ait envie de manger et de boire, sans fumer à la place !

Sophie regarde Paul se débattre comme un lion face aux conquêtes de nouveaux territoires. Elle lui a laissé le soin de résilier des abonnements téléphoniques devenus trop chers. Elle le regrette car Paul y a consacré plusieurs matinées. Il a raconté que l’opérateur était soit hors service, soit en attente. Mais aussi, lorsque Paul a réussi à se faire enfin entendre, il a attendu trois semaines que le courrier de confirmation arrive. Il a fallu recommencer deux fois le même circuit d’attente et d’explications pour aboutir. Pourtant, il n’y avait rien de compliquer, juste résilier, payer et fermer.

Sophie admire son mari lorsqu’il sort sa caisse à outils extra plate. Il en tire un tas de trucs qu’elle ne connait que de vue et il attaque la pose d’une étagère. Là où elle sait que quelque chose a changé, c’est quand Paul se met à jurer et à se tromper. Avant, ses gestes étaient sûrs, précis et ils étaient sans égratignure. La dernière fois, il est resté quinze minutes la main sous l’eau car le tournevis avait dérapé. Il est fatigué son Paul mais il n’en dit pas un mot. Normal, il est le père, celui qui est plus robuste et qui doit porter les packs d’eau.

Le couple s’accordait sur ses rôles et il les trouvait complémentaires. Aujourd’hui, c’est plus grave. Les disputes sont là, dès qu’il faut une innovation ou une adaptation. Il y a conflit pour un manteau qui n’a pas été ramassé, pour le pain oublié ou les devoirs interminables. Il ne s’agit pas de disputes pour se réconcilier, elles sont bien lourdes car sans oubli et très fatigantes. Il ne s’agit pas de désamour non plus, c’est juste le trop plein, le « je n’en peux plus » qui s’engouffre dans le « je n’avance plus » et qui dit « c’est nul », « c’est moche », « tu es nul », « tu es moche ».

Pourtant, il semble que tout aille bien puisqu’il y a équilibre en apparence. Les enfants grandissent et se comportent comme d’autres enfants de leur âge. Le niveau scolaire et le travail sont remplis avec attention. Juste, ces pleurs et le tournevis mais aussi la cigarette et les silences de Paul, le manque de temps et de vacances. Parfois, le volcan de la grosse colère secoue la famille et il éclate au centre d’un détail. Les tempéraments s’affrontent mais tous restent sur leur amour de l’autre sans franchir l’irréparable ou l’impossible conflit qu’ils apprécient si peu.

J’ai écouté et encore écouté cette famille. Je l’ai vu grandir, je l’ai vu vieillir un peu mais franchement pas assez. Non, pas assez du tout ! Paul et Sophie avaient pourtant suffisamment d’amour pour se pardonner et lâcher les fardeaux de l’intransigeance. Ce n’est pas à ces endroits que les verrous sont restés scellés. J’ai vu leurs regards et leurs gestes fatigués. Ils ne m’ont rien demandé car ils savaient que mes efforts ne rencontraient pas les leurs.

Paul n’a rien dit, une fois de plus. Il est allé chez l’armurier qui s’est étonné car Paul avait la réputation de ne pas vouloir tuer même une mouche. Le jeune papa a acheté une carabine et des munitions pour les sangliers. Il ne voulait pas rater sa cible, aurait-il dit. L’armurier son ami, lui a fait remarquer que la saison était passée. Après le beau temps, est venue la pluie.

Paul a été « comme d’habitude », mais en rentrant un petit peu plus tôt. Ils ont dîné devant la télévision, pas trop forte. Puis la maman a vérifié les devoirs et les cartables et elle a demandé aux garçons de brosser leurs dents, d’enfiler les pyjamas. Ils prendraient la douche demain car il était un peu trop tard.

Paul n’a pas regardé ses fils, ce soir-là. Non, il leur a lancé un : « Bonsoir les garçons, maman vous embrasse de ma part ». Paul a évité de trahir ses peurs et ses intentions.

Sophie s’est glissée dans le lit, bien à sa place, sans bruit car Paul avait déjà la tête sur son oreiller. Sophie ne savait pas trop pourquoi ses garçons s’étaient endormis presque aussitôt. Elle ne savait pas non plus pourquoi, le sommeil l’avait gagnée si facilement, elle qui devenait de plus en plus insomniaque…

Paul savait. Son regard se perdait dans le vide par absence. Aucun mot n’est sorti, aucun geste rapide ou tremblant. Non, rien. Et il a tiré une fois, deux fois, trois fois, quatre fois… Et, je ne comprends plus rien du tout.

Extraits « Le syndrome d’épuisement » Sylvie BRIERE

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