France puissance atomique ou atomisée ?

Le nucléaire

Une réflexion sur la situation nucléaire française, qui, il faut le souligner ,fait partie d’une connaissance spécialisée et dont la vue d’ensemble peut échapper. Le futur énergétique est-il encore dans le nucléaire ?

Environnement

France, puissance atomique ou atomisée ? Par Fabrice de Chanceuil

Le 15 septembre dernier, la Bibliothèque polonaise de Paris accueillait une conférence sur l’offre énergétique française, sujet ô combien d’actualité dans le contexte de crise de l’énergie engendrée par le conflit russo-ukrainien.

Dans leurs propos introductifs, son administrateur, C. Pierre Zaleski, ancien physicien nucléaire franco-polonais, a rappelé l’importance de l’énergie comme marqueur de civilisation tandis que Pa-trice Vermeulen, au nom du Carrefour des acteurs sociaux, co-organisateur de la soirée, a insisté sur la nécessité du mix énergétique afin de ne pas être dépendant d’une seule source d’énergie.

Dans ce vaste champ des possibilités, le conférencier, Lionel Taccoen, l’un des pères de l’énergie nucléaire française, avait naturellement fait le choix de brosser l’état des lieux de cette énergie dans le monde et de la place que la France y tient et pourrait espérer y tenir. L’enjeu est d’augmenter de manière significative la production d’électricité et l’énergie nucléaire est un des moyen pour y parve-nir tout en contribuant à atteindre la neutralité carbone.

De fait, notre pays fait partie des six pays disposant d’une filière nucléaire aux côtés des États-Unis, de la Chine, de la Russie, du Japon et de la Corée-du-Sud. Pour faire partie de ce club très fermé, il fait que les pays en lice disposent d’un architecte ensemblier, fabriquent un réacteur de 3e géné-ration, puissent se prévaloir d’un marché et puissent compter sur une volonté politique de leurs diri-geants.

Toutefois, tous ces pays ne sont pas dans la même situation. Les États-Unis disposent aujourd’hui du plus grand nombre de réacteurs mais n’investissent plus dans le secteur des gros réacteurs, pré-férant désormais lancer des projets de petits réacteurs modulaires en s’appuyant sur une stratégie commerciale agressive. Aujourd’hui, ses principaux concurrents sont la Chine et la Russie qui par-viennent à construire des réacteurs à des prix moitié moindre que le dernier des gros réacteurs des États-Unis (2400 $ le kilowatt électrique contre 8600 $), ce qui explique sans doute la nouvelle stra-tégie américaine. La Chine est assurément la mieux placée car elle dispose d’une puissante industrie, maîtrise l’ensemble de la chaîne de construction ainsi que les diverses technologies existantes et bénéficie, en outre, d’une certaine mansuétude des grandes associations de protection de l’envi-ronnement. Ainsi réussit-elle à produire six à huit réacteurs par an ce qui est tout à fait considérable. Ce qui n’est pas le cas de la Russie qui souffre également des sanctions prises à son encontre par les États européens.

Quant à la France, celle-ci se trouve dans une position intermédiaire. Elle s’est lancée dans l’énergie nucléaire dans les années 1970 et, après avoir abandonné la technologie graphite-gaz, elle a acquis les brevets de réacteurs à eau pressurisée développés par l’entreprise américaine Westinghouse. Elle dispose alors d’architectes ensembliers solides avec EDF et Framatome et d’une industrie encore importante de telle sorte qu’elle pouvait construire huit réacteurs par an dans les années 1980. Mais, à partir des années 1990, la France a commencé à se désindustrialiser et à perdre peu à peu ses compétences sans que ses responsables politiques en prennent réellement conscience.

Aujourd’hui, dans le cadre d’une coopération européenne, la France s’est lancé dans la construction du gros réacteur EPR 2 (réacteur pressurisé européen de nouvelle génération) pouvant produire 1,5 GW environ et dont la tête de série se met en place depuis seize ans à Flamanville avec un coût similaire à celui de son concurrent américain dont on a déjà souligné le trop gros montant. Ce retard et ce coût s’expliquent, outre le fait qu’il s’agit d’une tête de série, par les pertes de compétence et de compétitivité de notre pays depuis une trentaine d’années. Par ailleurs, la force des mouvements antinucléaires n’a pas permis, jusqu’à une période récente, de projeter durablement dans l’avenir cette source d’énergie.

Les choses ont changé depuis le discours prononcé à Belfort par le Président de la République le 10 février dernier, annonçant que le moment était venu de « reprendre le fil de la grande aventure nucléaire » avec la création de six EPR 2 et le lancement d’études pour la construction de huit EPR 2 supplémentaires. Mais la France le peut-elle ? Oui le croit Lionel Taccoen mais à condition de passer à la production en série, de reconstituer un tissu industriel dont l’industrie nucléaire pourrait être la locomotive, d’obtenir de l’Union européenne, qui compte en son son sein par moins de treize pays ayant opté pour cette technologie, de cesser la dérégulation qui affecte la filière, de rebâtir un architecte ensemblier robuste grâce notamment à une recapitalisation d’EDF et d’encourager une collaboration franco-britannique alors que la Grande-Bretagne a déjà fait le choix de deux EPR 2. Beaucoup de conditions mais, comme l’y a appelé dans sa conclusion Joël Broquet, président délé-gué du Carrefour des acteurs sociaux, un espoir suffisamment raisonnable pour envisager dès au-jourd’hui la constitution d’un réseau d’influence pour une offre énergétique française en Europe et au-delà.

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