Pourquoi soutenir l’économie sociale ? - Réflexions

Economie, répartition, dépenses, recettes, compétitivité, concurrence, répartition

Pourquoi soutenir l’Économie Sociale ?

Autant les origines de l’Économie Sociale (et Solidaire) sont multiples, autant les images qu’elle renvoie aujourd’hui sont diverses, et ce malgré tous les efforts faits pour la définir. Selon les pays où l’on se trouve, selon les milieux que l’on interroge, elle est perçue tantôt comme une économie du secours, tantôt comme une économie de l’entraide, tantôt comme un sympathique laboratoire chargé de sélectionner les utopies sociales qui mériteront d’être encouragées et diffusées.

Cependant il est un trait commun à tous les pays et à tous les milieux, c’est qu’il existe partout des personnes qui ne se satisfont ni du libéralisme, ni du collectivisme. Et c’est l’Économie Sociale qui est la forme actuelle de la réponse à leurs attentes.

Les deux termes de l’alternative, libéralisme et collectivisme, sont eux-mêmes vagues et polysémiques. Mais il ne sert à rien de les préciser davantage, tant les situations ont pu évoluer au cours de l’Histoire, et tant les courants de pensée correspondants ont pu se transformer et se métisser. Les choses étaient plus simples au temps de la guerre froide, quand le monde était partagé en deux blocs antagonistes. Elles le sont moins aujourd’hui, toutes les Nations pratiquant un compromis plus ou moins tranché entre le soutien à la libre entreprise et l’interventionnisme d’État. Malgré tout, le désir d’une ’Tierce voie’ demeure vivace. Et aujourd’hui, c’est dans l’Économie Sociale que ce désir s’incarne.

Historique des principales ’Tierces voies’ depuis 1848

La machine à vapeur et le chemin de fer, signes les plus tangibles de la révolution industrielle qui va transformer la société et faire naître la ’classe ouvrière’ et la ’question sociale’, sont inséparables de l’essor du capitalisme, lequel s’accompagne d’excès en tous genres qui, en réaction, suscitent le développement de doctrines empreintes de collectivisme. On pense d’emblée à Marx ; cependant l’hégémonie des théories marxistes ne s’imposera que beaucoup plus tard. Dans la France de 1848, le projet d’un socialisme d’État s’incarne en revanche de façon parfaite dans le personnage de Louis Blanc, le promoteur présumé des Ateliers Nationaux.

La richesse des joutes intellectuelles de l’époque était telle, comparée à l’indigence d’aujourd’hui, qu’il ne faut en citer les protagonistes que comme des archétypes. Nous aurons donc d’un côté Bastiat le libéral, de l’autre Louis Blanc le jacobin. Ils se sont perpétués jusqu’à nos jours, à travers divers continuateurs, mais somme toute sans grandes altérations, conservant peu ou prou le même niveau d’influence sur les partis et sur les mentalités. Les laudateurs du capitalisme reconnaissent tous Bastiat comme leur grand prophète ; de leur côté, les adorateurs du Tout-État disposent d’un Panthéon pléthorique, et n’ont pour la plupart jamais entendu parler de Louis Blanc. Il n’empêche ; leurs réflexes, leurs penchants, leurs détestations, se retrouvent à merveille dans le symbole qu’est devenu celui qui dirigea l’éphémère Commission du Luxembourg.

Et depuis 170 ans, il y a des gens qui ne veulent ni de Bastiat ni de Louis Blanc. Ils attendent une Tierce voie, ou une Tierce voix, et sont réceptifs à tout ce qui pourrait y ressembler.

Mais ce n’est pas si facile, car le monde binaire est un modèle fort et stable. Dans une guerre, il n’y a que deux camps. Même si l’on est en présence d’une multitude d’intérêts fortement antagonistes, des coalitions se forment, et lors de l’affrontement décisif il n’y a plus que deux adversaires. Autrement dit, pour qu’un troisième larron s’installe durablement dans un paysage façonné par une lutte entre deux dominants, il faut qu’il soit diantrement fort. La barre était trop haute pour des révolutionnaires romantiques comme Blanqui ou Barbès, ou pour les descendants de Saint Simon et de Fourier. Un seul s’imposa dans ce rôle, c’est Proudhon, qui ne fut pas seulement un adversaire acharné aussi bien de Bastiat que de Louis Blanc, mais aussi un visionnaire qui sut anticiper et décrire les dérives tant du capitalisme sans frein que de l’État-Moloch. Il inspira de nombreux penseurs couvrant un large éventail d’opinions, des anarchistes aux royalistes, mais son influence fut durablement contrecarrée par l’essor du marxisme. Proudhon s’était sans doute fait trop d’ennemis pour être pleinement reconnu comme l’un des principaux précurseurs de l’Économie Sociale, ce qu’il fut à n’en pas douter. Tout au plus voit-on en lui le père de l’idée fédéraliste.

En 1890, la Société Chrétienne Suisse d’Économie Sociale organisa quatre fameuses conférences, les Quatre Écoles, où vinrent se présenter les principaux grands courants d’idées sociales de l’époque, et déjà le proudhonisme en est absent. En sus du libéralisme et du collectivisme, on y entendit l’École de Frédéric le Play, disparu huit ans auparavant mais dont la revue la Réforme Sociale faisait alors autorité, et un économiste qui n’avait pas craint de nommer ses théories l’École Nouvelle et qui s’appelait Charles Gide.

Si Charles Gide est devenu depuis, par l’entremise d’Henri Desroche, le père putatif de l’Économie Sociale moderne, il ne saurait être considéré comme porteur, à l’époque, du flambeau d’une Tierce Voie. Et il en sera ainsi jusqu’à sa mort en 1932 ; son système, qui n’a jamais été qu’universitaire, est tout au plus une variante de la social-démocratie. En revanche, les continuateurs de Le Play peuvent davantage prétendre à ce rôle, dans la mesure où en tant que catholiques ils ont activement participé aux travaux qui donneront naissance, l’année suivante, à l’encyclique Rerum Novarum. Mais il ne peuvent en revendiquer qu’une part et c’est bien la ’Doctrine Sociale de l’Église’ qui devient alors la principale force supplantant le proudhonisme.

Mais elle avait le défaut rédhibitoire de ne s’adresser qu’au public catholique. L’année 1895 voit ainsi la naissance à Londres de l’Alliance Coopérative Internationale qui va frayer son propre chemin. Après la Grande Guerre, de forts courants se font jour en Europe pour mettre en place, non pas une Tierce Voie, mais une voie hybride qui ambitionne de combiner la liberté chère à Bastiat et la sécurité protectrice chère à Louis Blanc, ce qui deviendra progressivement la norme des États à forme démocratique. En réaction, les dictatures se doteront de diverses formes de corporatisme, concept que l’on peut présenter comme une version laïcisée et plus ou moins dévoyée de la doctrine sociale de l’Église.

La fin de la seconde guerre mondiale précipite le corporatisme dans l’opprobre et il faudra attendre les années 1960 pour voir réapparaître en France deux corpus idéologiques postulant au titre de Tierce Voie : l’autogestion et la participation. Toutes deux auront suscité de grands espoirs chez leurs partisans, toutes deux auront quitté la scène assez vite et sans gloire. Parmi les causes de leur échec, figure en bonne place le fait qu’elles se soient mutuellement excommuniées, y laissant une grande part de leur énergie. Pourtant elles auraient pu faire alliance, notamment autour du noyau dur qu’étaient les coopératives ouvrières de production (SCOP). Elles étaient par ailleurs l’une et l’autre fortement empreintes d’héritages proudhoniens et de principes issus des encycliques sociales, tant Rerum Novarum que Quadragesimo Anno (1931).

À la fin des années 1970, en France, l’Économie Sociale renaît de ses cendres, entrant d’abord sur la scène par la petite porte. Sa composante associative pèse très lourd, alors que les SCOP ne sont qu’une poignée. Mais progressivement elle s’installe dans le paysage institutionnel. Mieux, elle s’internationalise, et connaît sous d’autres cieux des succès bien plus significatifs qu’en France. Elle n’a certes pas le monopole des possibilités de transformation sociale ; mais c’est en son sein que se retrouvent ce qui fit jadis naître les aspirations proudhonniennes, cette quête de l’autonomie, de la solidarité et de l’émancipation tempérées et équilibrées par les réalités économiques. C’est en son sein que se retrouve la recherche du bien commun, de la subsidiarité et de l’épanouissement intégral de la personne, tous principes chers à la doctrine sociale de l’Église. C’est en son sein que se nouent chaque jour les fils de ces gouvernances collectives où chacun a son mot à dire, c’est en son sein que capital et travail savent dépasser leurs antagonismes, c’est là que l’autogestion et la participation se sont réincarnées.

Aujourd’hui, tout esprit libre qui ne se satisfait ni du libéralisme, ni du collectivisme, ni des fruits faisandés de leurs copulations adultérines, doit savoir qu’il trouvera dans l’Économie Sociale le lieu où son idéal peut devenir réalité.

Comment l’Économie Sociale se sortira-t-elle des turbulences de l’année 2020 ?

On nous annonce, au sortir de la crise sanitaire, une crise économique sans précédent. Peut-on, dès à présent, se demander si l’Économie Sociale en sera l’une des victimes, ou si elle saura tirer son épingle du jeu, faire partie des solutions et contribuer à faire émerger de nouvelles sources de prospérité ? Cela dépendra fortement des secteurs concernés.

Premier secteur de l’Économie Sociale par son nombre de salariés, le ’sanitaire et social’ sera bien entendu très sollicité, tant par la remontée du chômage et de la précarité que par le malaise des EHPAD. Mais dans la mesure où son financement est public à quasiment 100%, que la tutelle du financeur y est lourde et permanente, que les conventions collectives y sont très protectrices, je ne pense pas que des changements majeurs puissent survenir. Des revendications salariales, prenant prétexte des mesures prises en faveur de l’hôpital public, ne manqueront pas de surgir ; quant aux activités moins historiquement structurées, comme l’aide à domicile, qui pourra s’y opposer à une plongée dans l’ubérisation et le travail au noir ?

Les associations qui dépendent largement de la demande du public, que ce soit dans le sport, les loisirs, les spectacles ou le tourisme, vont en revanche beaucoup souffrir. Certes, les subventions ont jusqu’à présent été versées en temps et en heure, permettant de sauvegarder l’emploi salarié malgré une activité arrêtée par le confinement. Mais après ? Les recettes perdues ne se rattraperont pas, et il n’est pas certain que le public revienne comme avant la pandémie. Beaucoup d’utilisateurs, inquiets pour leur emploi, pour leur avenir, auront autre chose à penser que de fréquenter les associations. On peut s’attendre, à l’instar de ce qui s’annonce chez les artisans, TPE et autres restaurateurs, à un massacre dans nombre de structures associatives oeuvrant dans le ’superflu’.

Parlons des TPE, justement. La crise pourrait faire naître un besoin d’entraide favorisant une forte croissance des créations de coopératives d’entrepreneurs. C’est là plus un espoir qu’une certitude ; il faudra un bon accompagnement de la part des chambres consulaires, des banques et des organisations patronales. Le vieil adage faisant de l’Économie Sociale la ’fille de la nécessité’ y trouverait une illustration renouvelée.

En revanche on sera plus inquiet pour l’IAE (insertion par l’activité économique). La demande (les personnes à secourir) ne pourra que croître, alors que l’offre (le nombre de places en entreprise) ne pourra que décroître, provoquant un blocage du système et alimentant les réactions de scepticisme et d’insatisfaction à son encontre. La fiction d’un recours aux Ateliers Nationaux risque de renaître. De même, des initiatives de bon aloi mais nées dans une conjoncture plutôt favorable, comme les ’territoires zéro chômeur’, risquent de voler en éclats.

Du côté des banques, des assurances et des mutuelles de santé, les perspectives semblent favorables. Ces organisations trouveront dans la crise l’occasion de faire valoir leurs atouts de proximité, de prudence et de participation des sociétaires, et donc de faire la différence, au moins d’image, par rapport à leurs concurrentes mondialisées. Il reste à espérer qu’au delà de la communication, leur comportement restera empreint de sagesse et de précaution. Nous n’oublions pas les milliards d’euros du Crédit Agricole ou de Natixis envolés jadis dans des spéculations hasardeuses.

La crise aura d’autres effets, plus profonds

Ce sont les contours mêmes de l’Économie Sociale, ses relations avec l’État et sa perception par le public qui ne manqueront pas d’être ébranlés.

Il faudra bien se décider à tourner la page de la loi Hamon de 2014. Celle-ci affichait l’ambition d’adjoindre aux quatre familles fondatrices (coopératives, mutuelles, associations et fondations) une cinquième composante faite d’entreprises commerciales ordinaires mais affichant un objectif social. Cette extension destinée à intégrer le mouvement des ’entrepreneurs sociaux’ nécessitait, pour savoir qui pourrait être concerné, un système complexe d’agréments et de répertoires devant être précisé dans de futurs décrets d’application. Ledit système n’a jamais été mis en place de manière satisfaisante, très peu d’entreprises ont demandé leur agrément, et celles qui l’ont obtenu n’étaient souvent motivées que par le seul fait de pouvoir ainsi bénéficier de conditions favorables dans l’attribution de marchés publics ; du pur opportunisme donc.

Parallèlement se sont développés des concepts analogues, du fumeux ’impact social’ à la notion d’entreprise ’à mission’, toutes choses conduisant, dans un monde en perte de repères, à postuler que l’intention de faire le Bien vaut autant, sinon plus, que la capacité à fabriquer de bons produits et à gagner de l’argent. Il serait dès lors salutaire que la crise remette les priorités à l’endroit, et que le fait de pérorer sur ses vertus devant les étudiants d’HEC ne vaut pas brevet d’appartenance à une économie encore plus sociale que l’Économie Sociale, même quand on s’appelle Danone.

Il y aura donc un choix à opérer, soit revenir aux fondamentaux, c’est à dire aux statuts et à leurs règles premières intangibles depuis Rochdale (1844), soit laisser se combler et s’envaser la frontière d’avec l’entreprise capitaliste. Or si l’on peut admettre, voire approuver, toutes sortes de montages juridiques, il faut rejeter les chimères, a fortiori le simple baratin.

Il est un autre domaine où une clarification s’impose. La principale vertu de l’Économie Sociale est de donner au sociétaire la propriété de son outil de production, et par là le pouvoir sur son entreprise. Or cette dimension fondatrice est de plus en plus ignorée par des auteurs qui ne veulent y voir qu’une économie sympathique, agréable, fraternelle. Imprégnés par une vulgate écologique très dans l’air du temps, ils ont tendance à dissoudre l’Économie Sociale dans un projet global d’une société sans conflits et universellement bénévolente. Leurs préférences vont aux financements publics et aux actions d’intérêt général, et s’ils évoquent volontiers des notions d’autonomie, de décentralisation ou de territoires, ils s’accommodent fort bien de l’emprise de la puissance publique et la verraient bien continuer d’augmenter. Ces préférences sont largement partagées par les jeunes chargés d’études des CRESS ou par les enseignants d’ESS dans les Universités.

Or l’Économie Sociale ne met fin ni à la concurrence ni à la compétition. Aux financements publics elle préfère l’épargne des sociétaires et l’accumulation dans l’entreprise de réserves impartageables. À un intérêt général trop souvent dicté par l’État ou par une instance politique elle préfère les intérêts des sociétaires, qu’ils définissent et défendent eux-mêmes en toute autonomie. Et si la crise conduit un État impécunieux à réduire ses interventions, il y aura certes du dégât, mais de ce mal peut naître un bien. Que l’Économie Sociale se débrouille seule, hors de l’État, qu’elle doive se battre pour survivre, toute la société y gagnera.


Le mot de la Présidente :

Social n’est pas un gros mot qui enlise les « riches » à soutenir une masse populaire par une économie de l’impôt.

On peut comprendre dans le mot social que la répartition des biens (entre autres) dans un équilibre de maturité de consommation, permettant la santé, l’éducation, le nourrissage et l’habillement équitables.

Maintenant, vu sous cet angle, on enlève la consommation dites de luxe et ça, même le citoyen lambda n’est pas prêt à faire l’effort.

Et puis, il y a les connotations politiques et moralise qui s’ajoutent.

La production de pauvres donne le sentiment que l’on équilibre les consommations ce qui n’est vraiement pas le cas.

La situation écart pauvres-riches ouvrent la porte béante aux soucis primaires de la bonne santé mondiale.

En tout cas, depuis que mondialement, la classe moyenne a disparu, on a glissé sur cette pente évidente.

Sylvie BRIERE, fondatrice

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