Le diabète raconté ou l’expérience de Roger, boucher

 
Le capital santé lorsqu’il est présent à la naissance, s’entretient et se perfectionne tout au long de la vie. Les méthodes sont très diversifiées et se répètent. Dans le ventre de la mère, on fonde sa naissance  ; dans la jeunesse, on fonde sa vieillesse.


 
 
 
 
Roger vous raconte le diabète

 
Roger est un chti d’chez nous  ! Un gars du Nord quoi  ! Un des mines et des Houillères, un qui n’a pas pensé à mal et qui a avancé dans sa vie un peu comme tout le monde. Il a fait cela durant pas mal de temps puis un jour, il lui est arrivé une vilaine aventure qui lui mange un peu le cerveau de temps en temps mais cela il ne me l’a pas dit, c’est moi qui l’écrit.

 Roger a dévoilé ce qui lui tient profondément à cœur : si je pouvais empêcher cette mauvaise aventure-là à quelqu’un d’autre… 
 Pourtant, il m’a dit aussi :
 Je ne crois pas que les gens s’imaginent que cela peut leur arriver. J’avais une petite blessure au pied que je ne sentais pas car jeune, j’avais été coupé par le couteau d’une machine. Cet endroit étant devenu insensible et je ne me suis pas rendu compte d’une nouvelle blessure. Lorsque je me suis senti un peu mal, j’ai fait de l’automédication par un anti douleur. Pour moi, le docteur s’était la médecine du travail une fois par an et les dons du sang deux ou trois fois. Durant 30 années, j’ai vécu sur ce modèle sans consulter et sans en sentir le besoin.
 Sur cet épisode du pied, je constatais l’aggravation et je rendis visite aux urgences. On me déclara alors, avoir un diabète ce que j’ignorais totalement. Le docteur reprit en m’expliquant le sérieux de la situation car il y avait un début de gangrène. Je fus hospitalisé, drainé et mis sous antibiotique une huitaine de jours. Les médecins, constatant l’absence d’amélioration, m’annoncèrent une amputation en dessous du genou. Ils indiquèrent l’urgence de l’intervention, ils évoquèrent qu’en cas d’attente, l’amputation serait plus haute sur la jambe et bien plus ennuyeuse pour la qualité du futur appareillage.
Sylvie BRIERE :
 En combien de temps, tout cela s’est-il déroulé  ?
R. Q. :
 Durant quinze jours, trois semaines, j’ai tourné avec l’automédication puis ce fut une semaine d’attente avec les antibiotiques à l’hôpital puis, ce fut l’amputation. 
S. B. :
 Votre état fut foudroyant, alors  ?
R. Q. :
 Oui en effet, ce fut totalement différent du jour au lendemain. Il y eut dix jours de soins à l’hôpital, puis je fus conduis en centre de rééducation. Mon objectif a été immédiat, je devais reprendre mon travail et j’en ai informé l’équipe soignante. Le psychologue fit une recommandation sur un éventuel déni d’amputation. Rentré début mars, je sortais début mai avec une prothèse et je marchais.
S. B. :
 Avez-vous eu une préparation, un encadrement psychologique vous permettant d’assumer l’amputation  ?
R. Q. :
 Non, rien du tout, l’opération a été décidée et elle a été pratiquée.
S. B. :
 Vous a-t-on demandé si vous aviez un accompagnateur, par exemple  ?
R. Q. :
 Non, juste la personne à prévenir. En sortant de l’hôpital et après huit jours de repos à la maison, je fus réintégré en cuisine avec des horaires de journée et quelques aménagements, comme l’évitement des escaliers mais sans plus.
S. B. :
 Aviez-vous eu des signes avant coureurs, des petits états de fatigue ou d’autres indications  ?
R. Q. :
 Oui, j’étais dans un stress permanent et le licenciement économique était une situation compliquée à supporter pour l’anxiété. Pourtant il ne s’agissait pas de conflits internes, la société était en liquidation.
S. B. :
 De quelle antériorité étaient vos liens  ?
R. Q. :
 J’ai été salarié plus de onze années dans cette entreprise et j’ai perdu dans le même mouvement, le contact avec la clientèle. J’ai repris le dessus sans tergiverser. Il me semblait difficile de me battre face aux jeunes gens sortis des Ecoles, j’ai décidé de m’engouffrer dans une autre expérience, quitte à redémarrer à zéro. D’autant qu’avec le licenciement économique, le dispositif chômage me sécurisait. Alors, je me suis tourné vers un nouveau challenge professionnel, j’étais optimiste.
S. B. :
 Est-ce que vous sentiez des moments de fatigue plus ou moins récurrente  ?
R. Q. :
 Ah, non, non  ! J’étais en pleine forme  ! D’une forme presque olympique, même  !
S. B. :
 Etiez-vous un bon vivant  ?
R. Q. :
 Quelques années auparavant je m’étais ressaisi sur le contrôle du sucre car je m’étais dit que dans mon enfance j’en avais mangé beaucoup. Je me suis imposé un régime en arrêtant tout d’abord le grignotage. Mes repas n’étaient pas pris à heure régulière et je me nourrissais de façon assez anarchique alors je remis de l’ordre.
S. B. :
 Est-ce que vous avez ressenti votre licenciement comme une fracture  ?
R. Q. :
 Oui, tout à fait. Les heures de sommeil s’en trouvèrent totalement changées, les heures de repas et la nourriture changèrent du tout au tout. Il y a effectivement eu une sacrée rupture  !
S. B. :
 Vous est-il encore difficile de décrire les conditions de ce basculement à 50 ans  ?
R. Q. :
 Non, pas réellement. Par contre, ce qui m’interpella à mon arrivée à l’hôpital fut que l’équipe me prit presque pour un Sdf. Ce fut un choc, ils pensèrent cela à cause de mon état de santé. Après les différents bilans, ils me demandèrent si j’étais fâché avec les docteurs car je leur avais déclaré ne pas avoir vu un de leurs collègues depuis 30 ans.
S. B. :
 Si je résume votre situation, le diabète s’est installé sans bruit et sans douleur. Lors des dons de sang, il n’y a pas eu de recommandations particulières, telles que de réaliser des bilans sanguins.
R. Q. :
 Non, effectivement, j’ai appris il y a peu que lors d’un don de sang, il n’y a aucun contrôle sur la glycémie. Et j’étais convaincu qu’on effectuait un contrôle général, donc dans mon esprit, si mon état de santé était défectueux, on me l’aurait signalé. Il n’y eut aucune recommandation.
S. B. :
 C’est une incompréhension car ce qui est contrôlé ne concerne que les maladies transmissibles. Etiez-vous un fumeur, un mangeur de viande, un buveur  ?
R. Q. :
 Je ne fumais pas mais je buvais lorsque nous étions de fête le week-end avec les amis. Je me rends compte que pour la nourriture, j’étais un peu mangeur. Je sais que le métier de boucher est à risque sur le diabète. Le sucre de la viande devient un ennemi, on en absorbe aussi par la peau, par le jus de viande par exemple. Je connaissais des bouchers ayant du diabète mais sans que cela m’alerte.
S. B. :
 Au cours de vos visites annuelles du travail, jamais personne ne vous a fait de recommandations  ?
R. Q. :
 La médecine du travail, c’est rapide et le flacon d’urine a été assez souvent oublié. Je reconnais que c’est un tord car il y aurait eu un dépistage du taux de sucre dans le sang.
S. B. :
 Y a-t-il eu, qu’en même, un dépistage à un moment  ?
R. Q. :
 Non, non. La visite se déroulait ainsi : «  Fumez-vous  ?  » «  Non  »  ; «  Buvez-vous de l’alcool  ?  » «  Non  »  ; «  Vous faites ça…  » «  Non, non  »  ; «  Bon, allez  ! Je vais prendre votre tension…  » Il ne faut pas croire qu’il y avait autre chose.
S.B. :
 Etait-ce le même médecin du travail, au fil des années  ?
R. Q. :
 Non, il y a eu du changement.
S. B. :
 Par contre de votre côté, n’aviez-vous pas de baisses d’acuité visuelle ou d’autres signes contrariants  ?
R. Q. :
 Cela m’est arrivé mais après l’amputation. J’ai mis cette baisse sous le coup de l’intervention. Le médecin a diagnostiqué une inflammation de la cornée et je suis suivi depuis 2012 car je suis devenu mal voyant.
S. B. :
 Donc vous précisez bien que le diabète a entraîné votre cécité partielle  ?
R. Q. :
 Oui et j’ai quelques artères qui commencent à se calcifier, ma vue a baissé… Je suis un malade à hauts risques et je prends un peu tard des précautions. Je suis encadré par le généraliste et la Maison du Diabète, par la Sécurité Sociale. Maintenant, je comprends et je connais. A un moment, je me suis rentré un petit morceau de verre dans le pied. Cinq jours après, le pied a enflé, j’ai subi une opération.
S. B. :
 Les conséquences quotidiennes sont-elles une crainte constante  ?
R. Q. :
 Oui, mon hygiène de vie actuelle est très stricte et régulière. Je sors tous les jours pour marcher.
S. B. :
 Quelles sont les autres contraintes de votre état de diabétique  ?
R. Q. :
 Je ne fume plus du tout, je bois très, très peu d’alcool sauf lors d’une fête. Je rencontre régulièrement le médecin et un prélèvement vérifie tous les deux mois mon diabète qui pour le moment reste stable. Parfois, je contrôle de façon aléatoire la glycémie grâce aux méthodes que l’on apprend aux diabétiques. Lorsqu’il y a une alerte, je me rends à la Maison du Diabète et je pratique une remise à jour de ma situation.
S. B. :
 Comment se passe-t-elle, cette mise à jour  ?
R. Q. :
 Le diabète peut monter du jour au lendemain sans rien faire de particulier. Alors, la Maison du Diabète m’accueille une semaine et un contrôle alimentaire, des tests, des entretiens avec des psychologues, des diététiciennes, etc. encadrent la nouvelle alerte. Tout est programmé. On contrôle par un changement de traitement et au bout d’une semaine le diabète redevient stable. Le retour à la maison s’accompagne d’un contrôle un peu plus sévère sur les glycémies quotidiennes. Lorsque cela va mieux, on relâche la pression des contrôles pour ne pas être prisonnier de son diabète mais pas pour l’alimentation et le reste car il n’est pas question de jouer au yoyo.
S. B. :
 Et si vous deviez remonter le temps que feriez-vous  ?
R. Q. :
 Maintenant, que je porte une étiquette «  diabète  » sur ma tête, je referai chemin sur mon hygiène de vie. Je lui donnerai un peu plus d’importance et de restrictions car sans avoir un comportement catastrophique, je n’ai pas été assez vigilant envers l’installation de cette difficile maladie. Je laisserai peut-être plus de place aux docteurs… Chaque mois, je coûte à la collectivité 200€ rien que pour les ordonnances banales. J’ajoute à cela le suivi médical : prises de sang, radiologie, cardiologie…
S. B. :
 Quel est donc votre parcours de santé quotidien  ?
R. Q. :
 Tous les mois, je rencontre le généraliste qui renouvèle le traitement et fait sa surveillance. Cela est à vie. Je vais chercher mes médicaments et il m’en faut une quinzaine par jour car il y a les antidouleurs sans lesquels ma vie est insupportable. Les douleurs neuropathiques sont un handicap à une bonne vie. Elles sont récurrentes et extrêmement éprouvantes. Une insensibilité des extrémités (pieds et mains) mais aussi des douleurs lancinantes comme des «  coups de couteaux  » ou des sensations de brûlure ou de chocs électriques. Les médicaments sont obligatoires.
 Tous les deux mois, je fais prélever mon sang pour vérifier le taux de glycémie et de cholestérol, entre autres. J’ai un suivi ophtalmologique pour traiter une infection de l’œil via des séances de laser. Puis il y a la tension et l’œdème à surveiller. En stabilisant le diabète, les visites s’espacent mais au moindre écart du taux, je recommence à prendre un traitement pour limiter les complications.
S. B. :
 Votre état de santé est-il le centre de vos journées  ?
R. Q. :
 Oui et il n’est pas exclu que l’amputation touche la seconde jambe, un jour. Des Doppler sont réalisés pour en vérifier la circulation sanguine. Le cœur et les reins doivent être scrupuleusement surveillés. Donc tous les ans un Doppler, un électrocardiogramme, etc.
S. B. :
 La prise de sang annuelle de dépistage reste la bienvenue, elle est une garantie de moindre coût et surtout, de moindre mal.
R. Q. :
 Je suis obligé de porter une chaussure orthopédique car rien que par la couture et les fils internes, ma souffrance serait insupportable. Pourtant, le pire est le risque de blessure par cette couture. Et s’il y a blessure, il y a en une possible infection. Lorsque je me suis enfoncé un petit morceau de verre dans le pied, il y a peu, l’affaire a duré un mois et demi et elle n’est pas encore totalement stable. J’ai vécu une semaine d’hospitalisation, un mois de pansement tous les jours, plusieurs fois par jour.
S. B. :
 Lorsque j’entends votre prison «  médecine, douleur, médicaments, risques d’accident, handicap quotidien…  »
R. Q. :
 La pensée que j’ai eu lorsqu’on m’a conduit au bloc opératoire pour effectuer l’amputation, a été : «  Tu as fais une connerie, tu n’as pas tenu compte de ton état avant… tu n’as pas écouté les autres qui t’avaient dit que… Alors, assume  !  » Dix ans avant, quelqu’un m’avait fait pratiquer un test de glycémie et elle était très élevée. J’avais répondu que ce n’était pas grave, je venais de manger du sucre, que cela allait rentrer dans l’ordre… Chacun a repris sa vie, je sais que si j’avais eu une douleur mon comportement aurait été différent.
S. B. :
 Comment cela se passe-t-il lorsque vous pensez à tout cela  ?
R. Q. :
 Cela ne trotte pas dans ma tête constamment, le soir lorsque je retire ma prothèse et que je vois mon moignon, j’assume, j’oublie même. Par contre, je respecte les conditions de ma santé actuelle. Je me plie aux multiples contraintes journalières.
 Comme boucher, je mangeais 150/200g de viande, il n’en est plus question. Je mange 80 g de viande et ce n’est plus à tous les repas, ni la charcuterie. Je prends aussi des légumes.


 
Sylvie BRIERE
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