Odile, la quarantaine, mariée,…

Burn Out situation 3

La Haute Autorité de la Santé ont reconnu ce syndrome afin de lui donner une reconnaissance législative. (2017 - 2018)

Situation 3 : Odile, la quarantaine, mariée, trois enfants, de 2008 à 2015

Témoignage résumant une trentaine d’expériences dans ce domaine d’activité. Propos recueillis le 7 juillet

Durant ma jeunesse, j’ai souffert de changements de régions, liés au travail de mes parents. J’ai des frères et sœurs avec qui je m’entends bien. Mon père est affecté une nouvelle fois pour son emploi et la famille se retrouve dans un site enfin paisible et harmonieux. Il y a une stabilité, je rencontre mon futur époux. Simultanément, j’obtiens un Bac général puis je me lance dans la recherche d’un emploi.

J’entre à l’Éducation Nationale comme emploi jeune. Durant cinq années, j’apprends à travailler en harmonie avec les jeunes gens, avec une hiérarchie et un groupe élargi. Etant polyvalente et autonome dans mes activités, je suis informée sur les réalités collectives et individuelles. Les petites tâches utiles à tous comme l’administration et la distribution des documents, la surveillance des élèves, la mise en relation entre les élèves et leurs professeurs, tout cela m’incombe. Je n’arrête jamais et je trouve cela très important car j’en vois les effets. Les soirs de réunions sont mes moments préférés. La déception arrive au bout de cinq années car les emplois jeunes n’aboutissent qu’au chômage, il n’y a aucune reconversion, pas de formation et pas de métier appris, juste l’acquisition d’une expérience professionnelle. Le jeune n’est plus aussi jeune et la fin du contrat marque le départ, on quitte ses habitudes, ses collègues et les élèves. Un peu rude mais comme je suis enceinte de mon premier enfant, je reste à la maison. Deux années plus tard, je trouve un emploi administratif de proximité. Je m’investis encore plus que sur mon premier poste et j’y reste plusieurs années pour aboutir sur une rupture litigieuse. Je pose ma démission puis, je reçois une mise en demeure par courrier. Il s’agit de restituer des dossiers et l’ordinateur appartenant à l’employeur. Je me suis sentie profondément agressée. Je travaillais dans une petite commune, de plus mes employeurs étaient des amis. Le directeur a cru que je voulais remonter une structure concurrente en emmenant divers matériels. Mon mari m’a défendue mais je compris par la suite qu’il a d’abord pensé à sa réputation. J’en ai éprouvé un grand stress, une blessure profonde s’est imposée. Je trouvais le monde du travail rude et expéditif, incluant des conséquences importantes pour la famille. Il en a résulté une solitude similaire à celle que je ressentais en changeant de région pour le travail de mes parents.

Maman pour la seconde fois, je gérais les petits quasiment seule. Cet isolement et l’épisode de la lettre recommandée me fendaient le cœur. Je me sentais abandonnée et peu à l’aise, c’était lourd. La deuxième naissance prenait une place fatigante, les mots me revenaient sans cesse. Ces faits ont entraîné mes premiers soins pour dépression. Après avoir tenté plusieurs psychologues, je trouve celle qui est encore là aujourd’hui, j’avance et je m’en sors. Vint aussi le moment où je ralentis les traitements pour les arrêter totalement. Les chocs et le stress ont presque disparu mais la solitude est là. Le calme local est revenu bien que je me sente un peu décalée.

Puis, je fus embauchée dans un collège comme assistante de vie scolaire, dite AVS. Je suis affiliée à deux élèves handicapés et je tombe littéralement amoureuse de cet emploi : aider, chercher des infos, se former. Tout ce que j’aime ! Sortant à peine de dépression, j’ai tellement besoin de rencontrer du monde, de me trouver utile que je m’engouffre à cœur perdu dans cette activité. Je donne, je donne sans compter, sans freiner, sans réfléchir. Je me fais omniprésente et je suis attentivement les consignes de la direction. Etant appréciée par l’équipe, on me propose un poste d’assistante d’éducation pour la rentrée suivante et j’accepte.

La première année, j’apprends. Nous sommes deux surveillantes et la coordination se passe bien. Nous sommes complémentaires, j’avance rapidement. Il y a plus de 600 élèves dans le collège.

La deuxième année, je prends ma place et je deviens « accro » à cet emploi si prenant, si physique et moral tout à la fois. Un CPE est nommé à mi-temps mais il ne s’impose pas. Nous nous rendons compte qu’il faudra faire sans son efficacité avec un surcroît de travail pour tous. Seulement, je n’envisage pas que les élèves manquent d’encadrement et de soutien, je me dis vouloir maintenir l’équilibre, en avoir la mission. Me voici enceinte de mon troisième enfant.

La troisième année, le principal et ma collègue en binôme sont affectés ailleurs et cela bouscule beaucoup l’ambiance générale. Me voici rapidement référente de la vie scolaire. J’aime tellement ce que je fais ! Je suis moi, je suis nécessaire ! Je fais en sorte que cela devienne incontournable. Le tout fonctionne correctement, nous remplissons les attentes de la direction et je m’entends bien avec ma collègue. Lorsqu’en fin d’année, j’apprends que l’équipe change encore, je suis catastrophée. Elle sera totalement nouvelle à la rentrée prochaine. Il va me falloir recommencer à former quelqu’un et faire de nouveau tourner l’ensemble. Je crains ce changement et je constate ma fatigue.

La descente aux enfers commence dès la rentrée. Je suis à ma quatrième année mais elle sera épuisante. Le collègue recruté n’est pas fait pour l’emploi alors, je palie à ses faiblesses et à celles du CPE. La surveillance dans un collège est gage de sécurité et de discipline, il faut instituer des repères fiables et renouvelés. Cela demande de ne pas laisser les jeunes sans un adulte référent. Il y a toujours les tâches administratives à remplir et il me faut inventorier le matériel ainsi que les éventuelles dégradations. Je marche beaucoup tout au long de la journée ce qui certains matins me pose problème. Et mes trois petits sont une activité à temps plein. Mon mari est toujours sur son travail, je suis archi prise par le ménage et les autres tâches. Je me sens indispensable en faisant la liaison entre tous, jusqu’à la comptabilité de mon époux et les courses de ma mère. Seulement, mon emploi est de 41 heures/semaine. Toujours inconsciente, je me lance dans le bureau d’une association ! La situation et ses problématiques à venir me semblent flagrantes aujourd’hui. C’est moi et mon ambition, mon manque de capacité à dire non, mon envie d’aider qui a permis l’épuisement ! Je glisse dans une fatigue insidieuse, de celle qui s’installe sans signe particulier. Pour l’heure, je suis un peu débordée mais heureuse d’être active, reconnue, pleine d’idées et de projets ! Je suis freinée par la maladie plusieurs fois dans l’année, alors que je ne connais pas cela. Ce qui commence à me coûter est de me lever, le matin. La mise en route est longue et je suis « pâteuse » un bon bout de temps. Puis je rechigne, je vais à reculons lorsque la fin de la semaine arrive. L’épuisement est là, sans ma compréhension de sa présence. Au collège, les collègues ne me donnent plus le change et certains enseignants sont blasés. Il y a beaucoup d’oublis et comme l’on ne sait pas qui les commet, cela me revient systématiquement. A mon tour je sature de tous les détails. J’ai beau mettre en place des minis affichages et des nouvelles consignes, personne ne lit rien et je suis obligée de tout faire moi-même ou de laisser tomber. Lorsque je rentre à la maison, je ne décroche pas du boulot. Je répertorie les oublis en les notant pour le lendemain. Au début, c’était rapide mais au cours du temps, je me réveille la nuit en me disant : « mince, j’ai oublié les clefs sur le bureau du CPE ! » ou encore « Le directeur m’a demandé de remplir ses fournitures de bureau » et ainsi de suite, de plus en plus souvent.

La cinquième année sera la dernière. Je commence la rentrée « à bloc » ! Oui ! Il faut se remettre sur rail pour l’année. Je forme encore un collègue fraîchement arrivé et cette fois, cela ne me fait plus plaisir. Le rythme est rude à reprendre et tout le monde « traîne des pieds » ou tout va trop vite. Fatiguée, je commence à en avoir marre et je le dis. Mes collègues me suggèrent de ne pas faire le travail des autres, juste le mien ! Tellement facile à dire ! Et puis, je suis devenue indispensable à tous, ça fait partie des habitudes du groupe et il en a besoin ce groupe… toute la journée, toute la semaine, toute l’année ! Pareil en rentrant à la maison ! Une pointe de conscience dit tout de même : « ce que je fais est « mangivore » ». Oui ! Je me sens aspirée et je m’énerve facilement, je ne supporte plus mes enfants. Je suis dépassée, je m’engouffre, je me noie sans me rendre compte de l’ampleur et des conséquences.

En octobre 2013, je fais une sorte de crise de panique sur le lieu de travail. Suit une chute de tension importante et un collègue m’emmène chez le médecin. Le docteur m’arrête pour la journée. Le lundi suivant, je retourne travailler en pleurant. La journée est un calvaire ! Quelle solution s’offre à moi ? Il me faut tenir. Pourquoi ? Je ne me souviens pas vraiment de mes arguments, sauf qu’il faut que je tienne. Le mardi est insoutenable, mes collègues et même les jeunes remarquent mon mal-être. Ils me conseillent de retourner chez le médecin. La consultation donnera lieu à un nouvel arrêt qui se prolongera. Malgré les recommandations de tous : « Ralentis », « Repose-toi », « Décroche », « Pars quelques jours au vert », ce ne sera pas efficace. De retour au travail, mon corps est las, mes idées sont pessimistes. C’est à ce moment-là que je trouve ce « burn-out » diabolique ! Je ne pleure plus mais je ne dors plus ! Je me nourris pour me remplir et surtout pour étouffer cette douleur que j’ai au creux du ventre. Je suis en perpétuelles crises d’angoisse sans les identifier, vraiment. Les fêtes ne me font pas envies. Je tourne, je rumine, je bougonne et je réfléchis sans arrêt. Je me lève le matin mais je ne veux plus bouger, ni organiser, ni être aux petits soins, je veux être tranquille ! Pas un mot ne sort de ma bouche et donc, personne ne sait rien.

Nous voici au 1er janvier 2014 et je me questionne : « comment arrêter ce mal-être qui me ronge ? » La solution apparait simplement, doucement mais tellement clairement : mourir. Tout le monde sera mieux sans moi, je ne serai plus un fardeau… Le soir lorsque tout le monde dort, je me prépare. J’empoigne un sac dans lequel je mets des médicaments bien choisis ! J’embrasse mes petits pour la dernière fois et je les regarde dormir. Le matin, les enfants vont chez leur grand-mère et j’ai rendez-vous chez la psy. Tout est calculé. Je donne le change avec la psychologue mais je n’y crois plus, je souffre trop. Ce sera très bientôt fini, je serais soulagée. Tout va se terminer ! Ma psychologue me pose une question, LA question ! Totalement anodine mais elle me déstabilise complètement : « Quand nous revoyons-nous Odile ? J’ai le jeudi 17, ça vous va ? » Quoi répondre ? Les larmes montent, aucun son ne sort. Et puis tout s’écroule. J’explique que je ne veux plus, que ça ne sert à rien, que je n’arriverai jamais à rien. Je ne suis rien… tout sera plus simple sans moi… j’ai déjà tout préparé ! La suite est faite de longues minutes, voire une heure où ma thérapeute essaye de me raisonner, elle me parle, elle m’explique la suite pour mes proches. Je pleure beaucoup et je me bloque, je ne veux pas céder, je reste sur mon idée ! Puis je craque : « Ok ! Je vous fais confiance même si je n’y crois pas ! » Le médecin me demande le numéro d’une personne à prévenir. Ce sera mon père. Ma thérapeute lui explique qu’elle a besoin qu’il vienne au cabinet pour m’emmener dans un centre hospitalier. Ce dernier, très préoccupé, m’accompagnera à l’hôpital. On m’accueillera au pavillon des addictions, faute de place ailleurs. Je suis dans une sorte de bulle comme si le gouffre, dans lequel je me noie, s’était matérialisé. Que se passe-t-il exactement après ? Je n’en aie aucun souvenir. Je sais uniquement que je m’assoie par terre puis je me recroqueville avec une serviette de toilette sur la tête, en me glissant à moitié sous le lit. On me placera dans une chambre d’isolement. Après avoir dormi plusieurs heures ou plusieurs jours, je ne sais plus, je me mets à lire. Puis je suis transférée avec des gens dépressifs, peut-être suicidaires, je ne sais pas. On me parle souvent de mon traitement mais je ne comprends pas tout. Une infirmière insiste : je dois savoir ce que je prends et pourquoi. Elle me saoule. J’ai beaucoup de mal à lâcher prise. Je m’ennuie, je dors mal, je me réveille très tôt. Je suis comme un zombie. Les journées passent, j’écris beaucoup de poèmes et je dessine, je lis. Au bout d’un certain temps, l’autorisation de téléphoner vient. Les appels me sont douloureux : « Ok, tu étais fatiguée mais c’est bon maintenant, tu peux sortir… » Puis les visites sont autorisées. Souvent mal, je me réveille très tôt. Je participe aux activités sportives, à l’atelier « estime de soi », à la chorale et je n’y trouve pas mon compte. Deux mois passent et je sors sur ma demande. Pour le psychiatre, c’est prématuré mais j’ai du mal avec les soignants. Je n’accroche pas du tout avec le psy ! Il faut que je parte ! La suite ne sera pas simple et la relation de couple reste assez tendue. Avec les enfants, je sens qu’il faut que je retrouve ma place, c’est beaucoup d’efforts. Fin mars, me voici au travail. Je suis assez calme, pas trop angoissée mais cependant, perdue. Je comprends vite que ce sera la dernière année que je passe dans l’établissement.

A ce jour, je m’occupe des enfants. J’ai fait un bilan de compétence instructif avec le Pôle Emploi. Cela m’a ouvert vers une nouvelle orientation professionnelle : la sophrologie. J’ai commencé une formation en octobre 2015. La relaxation m’aide beaucoup. Pour conclure, « le temps appartient au temps ». Je trie les activités, les sorties et les projets. Le retour vers l’emploi est aujourd’hui le plus compliqué à envisager mais je me fais confiance. J’attends de voir la suite et il est certain que la psychologue a eu raison… Il ne fallait pas. D’autres solutions existent.

Étant en contact avec Odile, il en ressort que le côté « speedé » reste un mode comportemental quotidien. Un autre versant apparaît clairement, Odile est une femme engagée et authentique qui ne compose pas avec les valeurs. Il le faudrait un peu car, ne pas faire n’est pas forcément manquer de sens du devoir.

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