Roger a dévoilé ce qui lui tient profondément à cœur : si je pouvais empêcher cette mauvaise aventure-là à quelqu’un d’autre…
Pourtant, il a dit aussi : Je ne crois pas que les gens s’imaginent que cela peut leur arriver. J’avais une petite blessure au pied que je ne sentais pas car jeune, j’avais été coupé par le couteau d’une machine. Cet endroit étant devenu insensible et je ne me suis pas rendu compte d’une nouvelle blessure. Lorsque je me suis senti un peu mal, j’ai fait de l’automédication par un anti douleur. Pour moi, le docteur s’était la médecine du travail une fois par an et les dons du sang deux ou trois fois. Durant 30 années, j’ai vécu sur ce modèle sans consulter et sans en sentir le besoin.
Sur cet épisode du pied, je constatais l’aggravation et je rendis visite aux urgences. On me déclara alors, avoir un diabète ce que j’ignorais totalement. Le docteur reprit en m’expliquant le sérieux de la situation car il y avait un début de gangrène. Je fus hospitalisé, drainé et mis sous antibiotique une huitaine de jours. Les médecins, constatant l’absence d’amélioration, m’annoncèrent une amputation en dessous du genou. Ils indiquèrent l’urgence de l’intervention, ils évoquèrent qu’en cas d’attente, l’amputation serait plus haute sur la jambe et bien plus ennuyeuse pour la qualité du futur appareillage.
Sylvie Michèle BRIERE : En combien de temps, tout cela s’est-il déroulé ?
Roger : Durant quinze jours, trois semaines, j’ai tourné avec l’automédication puis ce fut une semaine d’attente avec les antibiotiques à l’hôpital puis, ce fut l’amputation.
S. B. : Votre état fut foudroyant, alors ?
Roger : Oui en effet, ce fut totalement différent du jour au lendemain. Il y eut dix jours de soins à l’hôpital, puis je fus conduis en centre de rééducation. Mon objectif a été immédiat, je devais reprendre mon travail et j’en ai informé l’équipe soignante. Le psychologue fit une recommandation sur un éventuel déni d’amputation. Rentré début mars, je sortais début mai avec une prothèse et je marchais.
S. B. : Avez-vous eu une préparation, un encadrement psychologique vous permettant d’assumer l’amputation ?
Roger : Non, rien du tout, l’opération a été décidée et elle a été pratiquée.
S. B. : Vous a-t-on demandé si vous aviez un accompagnateur, par exemple ?
Roger : Non, juste la personne à prévenir. En sortant de l’hôpital et après huit jours de repos à la maison, je fus réintégré en cuisine avec des horaires de journée et quelques aménagements, comme l’évitement des escaliers mais sans plus.
S. B. : Aviez-vous eu des signes avant coureurs, des petits états de fatigue ou d’autres indications ?
Roger : Oui, j’étais dans un stress permanent et le licenciement économique était une situation compliquée à supporter pour l’anxiété, la société était en liquidation.
S. B. : De quelle antériorité étaient vos liens ?
Roger : J’ai été salarié plus de onze années dans cette entreprise et j’ai perdu dans le même mouvement, le contact avec la clientèle. J’ai repris le dessus sans tergiverser et j’ai décidé de m’engouffrer dans une autre expérience. D’autant qu’avec le licenciement économique, le dispositif chômage me sécurisait. Alors, je me suis tourné vers un nouveau challenge professionnel.
S. B. : Est-ce que vous sentiez des moments de fatigue plus ou moins récurrente ?
Roger : Ah, non, non ! J’étais en pleine forme ! D’une forme presque olympique, même !
S. B. : Etiez-vous un bon vivant ?
Roger : Quelques années auparavant je m’étais ressaisi sur le contrôle du sucre car je m’étais dit que dans mon enfance j’en avais mangé beaucoup. Je me suis imposé un régime en arrêtant tout d’abord le grignotage.
S. B. : Est-ce que vous avez ressenti votre licenciement comme une fracture ?
Roger : Oui, tout à fait. Les heures de sommeil s’en trouvèrent totalement changées, les heures de repas et la nourriture changèrent du tout au tout. Il y a effectivement eu une sacrée rupture !
S. B. : Vous est-il encore difficile de décrire les conditions de ce basculement à 50 ans ?
Roger : Non, pas réellement. Ce qui m’interpella à mon arrivée à l’hôpital fut que l’équipe me prit presque pour un Sdf. Ce fut un choc, ils pensèrent cela à cause de mon état de santé. Après les différents bilans, ils me demandèrent si j’étais fâché avec les docteurs car je leur avais déclaré ne pas avoir vu un de leurs collègues depuis 30 ans.
S. B. : Si je résume votre situation, le diabète s’est installé sans bruit et sans douleur. Lors des dons de sang, il n’y a pas eu de recommandations particulières, telles que de réaliser des bilans sanguins.
Roger : Non, effectivement, j’ai appris il y a peu que lors d’un don de sang, il n’y a aucun contrôle sur la glycémie. Et j’étais convaincu qu’on effectuait un contrôle général, donc dans mon esprit, si mon état de santé était défectueux, on me l’aurait signalé. Il n’y eut aucune recommandation.
S. B. : C’est une incompréhension car ce qui est contrôlé ne concerne que les maladies transmissibles. Etiez-vous un fumeur, un mangeur de viande, un buveur ?
Roger : Je ne fumais pas mais je buvais lorsque nous étions de fête le week-end avec les amis. Je me rends compte que pour la nourriture, j’étais un peu mangeur. Je sais que le métier de boucher est à risque sur le diabète.
A suivre sur… Le diabète, les soins et l’hôpital