Par Gérald Moruzzi
Le 10 juin 2018 à 19h20
Le lourd silence du cortège et les sanglots déchirants d’une mère en deuil resteront longtemps dans les mémoires des participants. La marche blanche organisée ce dimanche matin entre la mairie de Fleury-Mérogis (Essonne) et la maison d’arrêt toute proche a été à la hauteur de la profonde tristesse ressentie depuis le suicide d’Alexandre Gonneau, surveillant pénitentiaire.
Membre de la famille et autres proches, collègues, fonctionnaires et simples citoyens…, près de 400 personnes ont rendu hommage à ce fonctionnaire du quartier disciplinaire. A 27 ans, il s’est suicidé le 22 mai dernier en se jetant du pont de Tancarville, en Normandie. Il portait alors son uniforme qu’il avait enfilé pour la première fois à Fleury quatre ans plus tôt.
Si une enquête judiciaire est en cours, Mélodie* n’attendra pas ses conclusions pour se prononcer. Pour la jeune femme qui partageait depuis trois ans la vie d’Alexandre, son compagnon a voulu passer un message. « Il a sauté d’un pont en tenue de travail, c’est symbolique. Cela veut dire que le travail l’a tué », estime celle qui se réserve le droit de porter plainte. Pas de signe avant-coureur selon sa compagne
Aujourd’hui très remontée contre la hiérarchie, Mélodie confie n’avoir repéré aucun signe avant-coureur dans les mots et le comportement d’Alexandre. Le 22 mai avait débuté, selon elle, comme une journée ordinaire. « Il m’a embrassé comme il le faisait d’habitude. Il a pris sa gamelle pour le midi et il est parti. »
L’agression indirecte dont Alexandre a été victime cinq semaines plus tôt dans le cadre de son travail a-t-elle fait office de catalyseur d’un mal-être diffus ? Mélodie ne le pense pas. « Il y avait une altercation entre deux détenus qui se jetaient de l’urine et Alexandre en a reçu. Mais le détenu qui a fait cela s’est vite excusé, indique-t-elle. C’est le manque de soutien de la part de la hiérarchie qui l’a vraiment touché à ce moment-là. » Elle accuse la direction d’avoir minimisé l’incident pour qu’il reprenne rapidement le travail.
Délégué syndical FO pénitentiaire, Thibault Capelle n’est pas surpris par ces propos. « Ce manque de reconnaissance et de considération, on le retrouve dans tous les établissements pénitentiaires de France, et surtout en Ile-de-France, dénonce-t-il. Ce sont des petites choses qui se rajoutent au fur et à mesure. Et cela se termine parfois par des drames. » Ces dernières semaines le personnel de la plus grande prison d’Europe s’est mobilisé à plusieurs reprises contre les agressions. Une surveillante s’est également donné la mort, et plusieurs suicides de détenus ont été recensés.
Cette semaine, les parents d’Alexandre vont s’employer à rapatrier son corps depuis la Normandie jusqu’à Paris où il devrait être incinéré. L’urne funéraire s’envolera ensuite vers la Réunion, d’où il est originaire. « Toute la famille l’attend », confie Guy, son père. Selon la direction, « le choc est important pour l’ensemble des personnels »
Pour les agents pénitentiaires de Fleury-Mérogis et d’autres prisons mobilisés ce dimanche, leur hiérarchie reste insensible face au mal-être de certains fonctionnaires. La direction de l’administration pénitentiaire réfute le constat de froideur. « Le choc ressenti suite à ces deux décès (NDLR : le suicide d’Alexandre et d’une autre surveillante) est important pour l’ensemble des personnels pénitentiaires », souligne-t-on. Le soutien en direction des collègues d’Alexandre existe bel et bien selon cette même source. « Une prise en charge psychologique est fournie aux agents qui la demandent. », indique-t-on.
Et d’évoquer le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) « mis en place à la suite de ce suicide ». Sur les circonstances et les raisons du drame, la direction préfère ne pas se prononcer pour le moment, « une enquête judiciaire est en cours ».
* Le prénom a été changé à sa demande.
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